Quand l’émerveillement mène à l’engagement : ces animatrices qui donnent envie de protéger les zones humides

, ,

©Marie-Lou NOVENE

Depuis 37 ans, le Conservatoire d’espaces naturels Rhône-Alpes œuvre pour la protection des zones humides, des écosystèmes aussi précieux que menacés. Chaque année, plus de 3 000 visiteurs découvrent ces milieux aux côtés des animatrices nature, dont la mission va bien au-delà de la simple sensibilisation. À travers des animations immersives, elles cherchent à éveiller les émotions, marquer les esprits et, surtout, donner envie d’agir pour leur préservation.

 

Qu’il pleuve ou qu’il vente, Séverine Willay, animatrice nature dans l’Ain, est sur le pont, accompagné de son énorme sac à dos. Face au groupe, elle esquisse un sourire, gratte quelques cordes de son ukulélé et attend que la magie opère.

« On protège mieux ce que l’on connaît »

C’est une conviction forte des animatrices nature du Conservatoire d’espaces naturels. À travers des découvertes originales des espaces naturels, et en particulier des zones humides, le Conservatoire éveille la curiosité du public. En révélant la richesse de ces milieux fragiles dans les cinq départements où il intervient, il ouvre la voie à une prise de conscience et, peut-être, à un engagement pour leur préservation.

Des zones humides à vivre : comment le CEN Rhône-Alpes transforme la découverte en engagement

Le Conservatoire d’espaces naturels Rhône-Alpes (CEN Rhône-Alpes) agit depuis plus de 30 ans pour préserver milieux naturels. En 2024, ce sont plus de 25 000 hectares de nature qui ont été protégés dans cinq départements (Ain, Rhône, Loire, Drôme, Ardèche), à travers 180 sites gérés durablement. Parmi eux, les zones humides occupent une place centrale, tant elles sont riches… et menacées.

Véritables alliées de l’Homme et de la nature, les zones humides remplissent des fonctions essentielles : elles régulent la ressource en eau, filtrent les polluants, soutiennent des activités économiques et culturelles comme la pêche ou l’agriculture, et offrent des espaces de loisirs et de repos. Réservoirs de biodiversité, elles abritent une faune et une flore exceptionnelle. Pourtant, leur disparition est alarmante : deux tiers de la superficie originelles des zones humides françaises ont été détruites en un siècle, cette disparition représente 2,5 millions d’hectares, l’équivalent de trois fois la superficie de la Corse (Bernard, P. 1994).

À l’échelle mondiale, 85 % des zones humides ont été détruites depuis le 18e siècle, trois fois plus vite que les forêts, alors qu’elles sont plus que jamais indispensables face aux défis du changement climatique.

Face à cette urgence, le CEN Rhône-Alpes ne se contente pas de protéger : il invite les citoyens à découvrir et aimer ces espaces pour mieux les défendre. En 2024, plus de 3 000 personnes ont participé à ses animations nature, qui allient savoirs scientifiques, expériences sensibles et immersion sur le terrain : sorties en canoë, balades ornithologiques, initiation à la botanique ou au tressage végétal, chantiers participatifs… Des expériences immersives qui transforment la connaissance en attachement.

Parmi ses actions de sensibilisation, le Conservatoire mise aussi sur l’alliance entre art et écologie. À l’été 2024, il s’est associé à la compagnie de cirque Merci LaRattrape pour la première édition de la tournée des balades circassiennes en pleine nature. Accompagné de la compagnie de cirque, Séverine Willay, animatrice au CEN Rhône-Alpes a guidé les participants lors d’une déambulation mêlant art du cirque et sciences, sur la thématique « Espaces naturels et dérèglement climatique ». Cette création artistique unique a plongé avec légèreté les spectateurs dans un sujet qui peut parfois être angoissant. L’occasion d’explorer, de manière sensible et accessible, les effets concrets du changement climatique sur des milieux fragiles comme les zones humides et inviter petits et grands à réfléchir autrement à ces enjeux.

Une formule qui a séduit de nombreuses familles, comme en témoigne, Eléonore, mère de deux enfants, vraiment ravie :

« Les animations de cirque captent l’attention des plus jeunes et cela permet d’agrémenter la promenade d’instants d’apprentissage mais aussi de poésie et d’évasion ».

À l’été 2024, le CEN Rhône-Alpes et la compagnie Merci LaRattrape ont proposé une balade circassienne mêlant cirque et sciences sur le sujet du dérèglement climatique @Marie-Lou NOVENE

Aussi, pour permettre au public de découvrir la nature in situ et pour prolonger l’expérience, des aménagements permettent d’explorer les sites toute l’année. Le Marais de Vaux en est un bel exemple. Avec ses 132 hectares, il représente la deuxième plus grande zone humide de l’Ain et abrite près de 160 espèces végétales, dont des plantes carnivores, des orchidées et des insectes rares. Restauré à grande échelle, il offre aujourd’hui un sentier d’interprétation sur pilotis de 900 mètres. Cette traversée immersive en pleine nature permet d’explorer le marais toute l’année… et peut-être d’apercevoir les tarpans, ces chevaux descendants directs des chevaux primitifs, qui participent naturellement à son entretien.

Des élèves de l’école d’Hauteville (Ain) ont découvert le marais de Vaux, ses fonctions et l’enjeu de sa protection. ©CEN Rhône-Alpes

De l’émotion à l’action : comment les animatrices nature éveillent les consciences

Sensibiliser le public à la protection de la nature ne se résume pas à transmettre des connaissances. Sur le terrain, les animatrices nature du CEN Rhône-Alpes déploient une palette de méthodes pour éveiller la curiosité, susciter l’émotionet donner envie d’agir.

Pour Cécile Verspieren, animatrice nature en Ardèche, son métier consiste à :

« donner à voir les merveilles de notre environnement naturel, ses enjeux, ses curiosités. De donner envie de l’aimer, de s’y attacher et in fine de le préserver ».

Une démarche qu’elle incarne pleinement à travers l’Aire Terrestre Éducative mise en place sur la plaine alluviale de l’Ardèche, aux portes d’Aubenas.

Pendant une année scolaire, 35 élèves de CM1-CM2 se sont investis dans la gestion d’une lône proche de leur école : mise en place d’inventaires naturalistes, réflexions collectives, prise de décisions via une instance nommée « le conseil de la Terre » afin de partager leur stratégie de gestion de la parcelle. Une expérience marquante, où Cécile a vu naître chez ces enfants un attachement au lieu et une véritable conscience écologique.

 

Cécile, animatrice du Plan national d’actions anime plusieurs fois dans l’année des classes apron auprès d’élèves de tout niveau pour découvrir l’espèce, son milieu de vie et les gestes à mettre en place pour le protéger. ©CEN Rhône-Alpes

 

Même conviction chez Lucie Verdier, animatrice nature dans la Loire, sur la Réserve Naturelle Régionale des Jasseries de Colleigne :

« Mon approche préférée, c’est l’émotionnel. »

Passionnée de montagne, elle soigne chaque détail de ses animations, dès l’arrivée sur site : partage d’une gourde, prêt de vêtements chauds et attention portée aux besoins du groupe.

« C’est comme une cordée : on apprend le respect, la solidarité, la juste place de chacun… et on comprend que la nature est un espace partagé. »

 

Lucie, animatrice sur la Réserve fait découvrir lors d’une balade commenté l’histoire des paysages des Hautes-Chaumes telle qu’elle s’est déroulée depuis la fin de la dernière période glaciaire. ©CEN Rhône-Alpes

 

Lucie raconte aussi pour mieux toucher : des souvenirs personnels – comme ceux de son oncle Marcel ou de Thérèse, la dernière vachère de la Jasserie « ça marche car c’est universel ! » – aux métaphores inattendues.

« Je compare souvent le nectar d’une fleur à une tartine de Nutella. Ça permet aux enfants de comprendre qu’en cueillant une fleur, on prive une abeille de sa gourmandise. Et là, tout de suite, ça fait tilt ! ».

 

Cloé, anime des ateliers enfants pour découvrir la faune et la flore du marais des Fenières dans l’Ain (à gauche), balade au cœur d’une tourbière des Hautes-Chaumes pour en comprendre son fonctionnement. ©CEN Rhône-Alpes

 

Chaque public est différent. Il faut adapter le discours, le rythme, les supports, et accepter que les prises de conscience demandent parfois du temps. L’engagement est un processus souvent long, mais certaines victoires sont particulièrement marquantes. Parfois, un simple déclic vaut mieux qu’un long discours. Comme cette fillette de 9 ans, bouleversée par le sort de l’apron du Rhône, un petit poisson endémique et menacé du bassin du Rhône. Après avoir appris les gestes qui permettent de le protéger, elle a créé des posters de sensibilisation qu’elle a fièrement affichés chez elle… et distribués à sa famille.

 

 

En octobre 2023 en Ardèche, l’équipe du PNA Apron a animé des activités sportives et pédagogiques pour mieux connaître l’espèce lors du challenge Inter Ateliers Pêche Nature. ©CEN Rhône-Alpes

 

Grâce à leur engagement sur le terrain, les participants ne sont plus de simples spectateurs : ils deviennent de véritables acteurs de la préservation. Beaucoup expriment le besoin d’agir concrètement, de « faire leur part ». C’est le cas de Mélissa Bernard, cuisinière en crèche, bénévole depuis 2023 :

« J’ai découvert le Conservatoire lors d’une fête de l’environnement à Villefranche-sur-Saône. Je cherchais un engagement plus concret qu’un simple don, quelque chose de physique, de terrain. Le bénévolat avec le CEN m’a offert ça : participer à des animations, faire découvrir les zones humides, être utile.

J’ai beaucoup voyagé, en Nouvelle-Zélande et au Canada, où la nature est au cœur des préoccupations. Ces expériences m’ont donné envie d’agir ici, en France. Aujourd’hui, je suis fière de contribuer à la sensibilisation du public aux côtés de l’équipe. »

Au Conservatoire, Cloé Mathelet, chargée de la vie associative, accompagne les bénévoles et cultive un réseau d’adhérents actifs. Le CEN propose plusieurs types de missions : chantiers participatifs, ramassage de déchets, arrachage d’espèces envahissantes, fauche, comptage d’espèces… chacun peut trouver une manière d’agir !

 

Échanges avec le grand public sur le stand du CEN à l’occasion du Salon Primevère à Lyon, en 2024 (à droite), et chantier participatif d’arrachage d’espèce exotiques envahissantes avec l’organisme UNICEM en Drôme ©CEN Rhône-Alpes

 

Zones humides : des alliées précieuses pour la vie et le climat

Véritables trésors de biodiversité, les zones humides — marais, tourbières, prairies humides, lagunes ou mangroves — rendent d’innombrables services à la nature comme à l’Homme. Elles filtrent l’eau, stockent du carbone, régulent les crues et atténuent les effets du changement climatique. Pourtant, elles figurent parmi les écosystèmes les plus menacés au monde : sous la pression de l’urbanisation et de l’artificialisation des sols, 85 % de leur surface ont disparu depuis le XVIIIe siècle.

Face à cette urgence écologique et compte tenu de leur valeur et des menaces qui pèsent sur elles, la Convention internationale de Ramsar, signée en 1971, leur est entièrement dédiée. En France, des initiatives locales et nationales se multiplient pour restaurer et préserver ces milieux fragiles, indispensables à l’équilibre écologique.

Préserver les zones humides, c’est garantir à l’Homme un accès à l’eau, lutter contre le réchauffement climatique, et protéger une biodiversité unique qui dépend entièrement de ces milieux.

Pour Delphine Danancher, responsable scientifique du Conservatoire, l’enjeu est clair :

« Ce qui fait des zones humides des milieux écologiquement exceptionnels, c’est leur lien étroit avec l’eau et le fonctionnement de leurs sols, naturellement saturés (on parle de sols hydromorphes). Cette caractéristique déclenche une série de processus écologiques très spécifiques. Les sols gorgés d’eau abritent des micro-organismes capables de vivre sans oxygène. En ne respirant pas, ils ne rejettent pas de carbone. Résultat : la matière organique (carbone et azote issus des êtres vivants) s’accumule sans se décomposer rapidement. Tant que les sols restent humides, ce carbone reste piégé. C’est un mécanisme naturel de stockage particulièrement efficace, qui fait des zones humides un levier puissant pour atténuer les effets du changement climatique.

Les zones humides rendent de nombreux services : elles filtrent l’eau, atténuent les inondations, soutiennent la biodiversité et sécurisent nos ressources en eau. Pourtant, leur fonctionnement est mis à mal par l’urbanisation, le drainage ou le retournement des sols. Le conservatoire, en tant que gestionnaire de milieu naturel, aux côtés des acteurs du territoire (élus, agriculteurs, riverains…), fait donc de la restauration des zones humides une de ses priorités.

Remettre une zone humide en état de fonctionnement peut la plupart du temps se résumer à restituer l’eau aux sols (en bouchant des drains, en reconnectant les anciens bras de rivières), restaurer les écoulements naturels ou à assurer son intégrité en limitant les dommages au sol liés aux activités humaines… C’est le cas de la Lône de Taponas, dans le Rhône, où le Conservatoire a mené une opération de renaturation pour reconnecter la lône à la rivière, restaurer ses habitats naturels et favoriser le retour d’espèces emblématiques. Ces actions sont accompagnées de suivis scientifiques rigoureux : mesure des niveaux d’eau (piézométrie), analyses de sols (pédologie), suivis des espèces ou des habitats naturels… L’expertise des salariés du Conservatoire est renforcée par l’appui d’un Conseil scientifique, qui valide ses stratégies d’intervention, qui examine les projets et offre ses conseils pour leur mise en œuvre ».

 

L’urgence d’agir, ensemble

Avec un large sourire et une énergie communicative, Heïdi Sevestre, ambassadrice du CEN Rhône-Alpes, a lancé un appel clair aux adhérents et bénévoles lors d’un webinaire dédié à l’engagement citoyen face au changement climatique :

« Ce que nous devons faire, c’est agir ! »

Glaciologue de renommée internationale et sentinelle du climat, Heïdi œuvre à rendre les connaissances scientifiques accessibles à tous. Pour elle, il ne fait aucun doute : le lien entre climat, biodiversité et action humaine est indissociable. L’engagement citoyen est une des clés du changement.

Heïdi Sevestre lors du Webinaire Sur le front du climat qu’elle a animé auprès des salariés, adhérents et bénévoles du CEN Rhône-Alpes en octobre 2024 ©CEN Rhône-Alpes

 

« Ensemble, nous pouvons faire une réelle différence pour notre environnement et pour les générations futures. Un immense merci à tous ceux qui s’impliquent, qui donnent de leur temps et se battent pour la biodiversité. On ne lâche rien ! »

Son message résonne comme un encouragement à continuer, à s’engager, à croire en notre pouvoir collectif. Parce que chaque geste compte, surtout quand il est porté à plusieurs.

 

➡ Vous souhaitez agir à nos côtés et vous engager ? Tout est ici !

 

➡ Pour aller plus loin :

Site RAMSAR site « Marais et tourbières des montagnes du Bugey » dans l’Ain labellisé en 2024